Randonnée en Suisse au refuge Sassal Mason dans les Grisons

En traversant des vallées verdoyantes, des paysages rocheux, des cols alpins et deux lacs splendides, Lago Bianco de couleur bleu laiteux et Lago Nero presque noir, le sentier mène au refuge Sassal Mason avec la vue fantastique sur les glaciers du Piz Palü, son lac en forme de cœur et le Val Poschiavo.

Randonnée dans les Grisons

Debout au sommet de la montagne, je me sens comme la Vierge Marie au col de Monte Moro, ses mains levées gracieusement vers l’Italie et son dos tourné vers la Suisse. Nous sommes dans le canton suisse des Grisons, et l’Italie semble être à quelques mètres. Je ne sais pas pourquoi mais je me souviens du dicton français « J’ai vu la Vierge », ce qui signifie « Vous êtes fou ».

Les Grisons est le « canton des randonnées ». Cette région peu peuplée de la Suisse orientale est réputée pour sa nature spectaculaire et sauvage, et ses villages alpins pittoresques. Partageant ses frontières avec l’Italie, l’Autriche et le Liechtenstein, ses habitants parlent le suisse-allemand, l’italien et environ un sixième d’entre eux parle le romanche, une langue régionale proche du latin et originaire de la Rome antique. Même le nom allemand des Grisons se présente sous formes différentes : Grisons en français, Grigioni en italien et Grischun en romanche.

Pontresina est un bon endroit pour entendre la langue en action. « Grüezi! », ce qui signifie « Bonjour », et nous nous rendons compte immédiatement que nous sommes en Suisse alémanique. « Allegra! », ou « Bienvenue! » nous rappelle que nous sommes dans les Grisons.

De Pontresina au refuge Sassal Mason

Le trajet de Genève jusqu’aux Grisons est long, le canton se trouve à l’opposé du pays. Nous conduisons vers le Val Poschiavo, une vallée isolée à la frontière avec l’Italie. Notre destination est Pontresina. Internet propose principalement les sentiers menant au refuge Sassal Mason au départ d’Ospizio Bernina, d’Alp Grüm ou de Cavaglia. Mais ses balades sont trop courtes à notre goût. Habitués aux longues randonnées, nous avons décidé de partir de Pontresina, une pittoresque ville alpine et une version moins prétentieuse de sa voisine, une ville de St Moritz.

Le sentier, plat et facile, traverse la forêt jusqu’à Surovas et continue à travers les prairies avant d’atteindre la gare de Morteratsch. Tout le monde vient ici pour voir le glacier de Morteratsch. Notre randonnée est considérée comme longue, et sachant combien de temps nous mettons habituellement pour arriver à une cabane, n’importe quelle cabane, nous réservons le glacier pour le retour.

A partir de Morteratsch, le sentier commence à grimper. Nous passons par la Cascata da Bernina, une cascade, où la rivière Ova da Bernina tombe en cascade sur plus de 50 mètres. Maintenant, le sentier devient une succession de virages. En traversant la vallée verdoyante et en marchant le long de la rivière en direction de Bernina Suot, le paysage devient moins vert et plus rocheux. Son austérité est adoucie par de petites fleurs roses alpines.

Le sentier passe par Diavolezza, où à intervalles réguliers passent les fameux trains rouges du Bernina Express, ses rails touchant presque notre sentier de randonnée. La vue sur les montagnes et les glaciers est splendide. Le calme et la quiétude des lieux ne sont interrompus que par les cyclistes qui descendent à toute vitesse avant de prendre un train pour remonter. Par endroits, les cyclistes et les randonneurs partagent la route, mais les deux espèces arrivent à s’entendre. La terre ici est aride, sans arbres et marquée par des chutes de pierres.

Le chemin de gravier bien balisé devient rocheux et zigzag fréquemment. Nous arrivons au Lac Noir, ou Lej Nair en romanche. Le lac a reçu son nom en raison de la couleur noire de son eau. Lorsque le soleil disparaît pendant un moment, la couleur semble vraiment noire.

Nous arrivons au Lac Blanc, ou Lago Bianco en italien. Situé à 2,234 m d’altitude, ce n’est pas un lac naturel. Il a été formé par les deux barrages, Scala et Atlas, sur le site de deux lacs naturels (Lago Bianco et Lago della Scala), et l’eau est utilisée pour produire de l’électricité. Avec sa couleur bleu laiteux, ce lac-réservoir est magnifique. Il est immobile et silencieux, les montagnes enneigées se reflétent dans ses eaux. Comme le cas du Lac Noir, la couleur de l’eau a donné son nom au lac. La ligne de partage des eaux entre Lej Nair et Lago Bianco est également la frontière linguistique entre l’Engadine romanche et le Val Poschiavo italophone.

A partir de maintenant c’est une agréable promenade le long des rives graveleuses de Lago Bianco avec des vues toujours changeantes. Dans ce paysage de haute montagne, les trains modernes rouge vif du Bernina Express semblent surréalistes. Le chemin qui reste plat pendant que nous contournons le lac, nous amène au barrage situé à l’extrémité sud du lac, avec des murs en pierre ressemblant à l’architecture médiévale. De là, on peut soit descendre via Alp Grüm jusqu’à Poschiavo, soit monter jusqu’à Sassal Mason.

Refuge Sassal Mason

Une courte montée nous amène à Sassal Mason, à la fois un refuge et un hôtel de montagne aux murs épais faits de pierre. Construit à 2’355 m, les vues s’étendent sur les glaciers du Piz Palü, Lagh da Palü (Lac Palü) en forme de cœur, Alp Grüm et le Val Poschiavo. C’est ici que s’arrête la Suisse et commence l’Italie.

Nous avons les montagnes presque pour nous seuls. Le son des cloches retentit doucement de l’autre côté de la vallée. C’est bucolique et paisible. Le refuge Sassal Mason lui-même ressemble plus à un petit hôtel confortable. Il y a le choix entre des chambres doubles et des dortoirs. Nous optons pour un dortoir. Nous sommes chanceux, il n’y a personne.

En fin d’après-midi, lorsque la lumière rose enveloppe les montagnes environnantes, nous nous rendons compte que nous sommes affamés. Nous nous déplaçons dans le restaurant. Avec ses meubles anciens en bois, nous avons l’impression d’être chez quelqu’un, dans la salle à manger. Nous commandons plusieurs verres de vin « crotto » et de copieuses assiettes de polenta aux champignons, la spécialité locale du Val Poschiavo et de la Valtellina.

Les vins « crotto » proviennent des grottes en pierre typiques des régions montagneuses de la Lombardie et des Alpes suisses, en particulier le Val Poschiavo, la partie italophone des Grisons, le Tessin ainsi que la Valteline, Valchiavenna et le lac de Côme, la région de Lombardie au nord de l’Italie, à la frontière avec la Suisse. Avec une grande quantité d’air frais qui passe à travers les caves et la température stable pendant toute l’année, les villageois ont appris il y a longtemps que les « crotti » sont l’endroit idéal pour stocker de la viande séchée, du fromage et du vin. Ici, à Sassal Mason, le vin provient de deux structures rondes en forme de dôme ressemblant à un igloo construites à côté de l’hôtel. Faites de pierre, ces « crotto », ou plutôt « crot » dans le dialecte de Poschiavo ressemblent aux « trulli », des habitations en pierre calcaire que l’on trouve dans la région méridionale des Pouilles.

Retour avec le Bernina Express

Le lendemain matin, nous avons de la chance avec le temps. Le ciel est clair et nous avons la vue impressionnante sur les montagnes et les vallées environnantes, suisses et italiennes. Il me semble que je vois la ville de Tirano, le terminus du Bernina Express du côté italien. Après un café sur la terrasse avec la vue sur le glacier de Palü et son lac, nous entamons notre descente vers la station Alp Grüm. Nous avons décidé de prendre le train pour avoir une autre perspective sur Lago Bianco et pour voir par nous-mêmes si le trajet sur le Bernina Express est vraiment l’un des plus beaux voyages en train du monde comme on le vante.

Depuis Sassal Mason nous commençons notre descente à travers la prairie alpine vers Alp Grüm, une petite gare sur la ligne de Bernina Express, où le chemin de fer fait la boucle la plus acrobatique du plateau. Alp Grüm a deux choses : un emplacement fantastique et une pizzoccheri, une spécialité régionale à base de pâtes de sarrasin servie dans son hôtel-restaurant.

Avec ses viaducs spectaculaires, ses tunnels et ses virages serrés, le tout intégré harmonieusement dans la nature, le luxueux Bernina Express est un chef-d’œuvre d’ingénierie classé au patrimoine de l’UNESCO et l’un des chemins de fer les plus emblématiques du monde. La Suisse a une tradition de conduire des trains sur des pentes vertigineuses comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Mais le chemin de fer, qui va de Coire en Suisse à Tirano en Italie se trouve dans une ligue à part. Le trajet de 122 km sur ce chemin de fer qui a plus de 100 ans amène les passagers à travers 196 ponts, 55 tunnels et les paysages spectaculaires de vallées vertes, des Alpes enneigées, des églises pittoresques et des maisons aux allures de carte postale. Les noms des gares et même la voix des passagers changent en cours de route, et tout à coup, le suisse allemand devient le romanche puis l’italien.

Comme les sièges panoramiques en première classe du Bernina Express doivent être réservés à l’avance, nous achetons des billets réguliers en deuxième classe. Mais cela n’a pas d’importance car notre wagon a de grandes fenêtres qui ressemblent à des écrans de projecteur. Alors que le train descend en zigzag, depuis mon siège je regarde les lacs et les plaines glaciaires, le paysage rocheux et sans arbres comme si je regardais un film. Cela a l’air surréaliste.

Sur le Col de la Bernina, le train longe les bords de Lago Bianco bleu laiteux et de Lago Nero de couleur foncée qui se trouvent près de la gare Ospizio Bernina. Ici, entouré de glaciers et de falaises dénudées, le train atteint l’altitude de 2’253 m, le point le plus élevé du parcours et le plus haut passage ferroviaire d’Europe.

Un vieux couple japonais, qui est monté dans le train à la gare de Diavolezza, semble très excité. Je parie qu’ils ont pris un téléphérique pour monter sur la plateforme d’observation de Diavolezza à la recherche des sommets enneigés et d’une fondue à 3’000 m. Aujourd’hui, nous laissons tomber Diavolezza et descendons à Morteratsch, une autre station pittoresque de chemin de fer avec son hôtel sympatique. En moins d’une heure, une route de gravier nous amène directement au museau du glacier. La langue du glacier, un spectacle impressionnant de glace et de roches tombées, ressemble à une rivière de glace gelée avec une vue fabuleuse sur la chaîne déchiquetée de la Bernina. Bien que le glacier de Morteratsch soit le troisième plus long glacier des Alpes orientales, il a considérablement reculé et des panneaux d’information avec des photos sont placés le long du Sentier du Glacier de Morteratsch montrant à quoi il ressemblait au cours des 100 dernières années.

Nous nous sommes retrouvés dans le parking vide lorsque la lumière de fin d’après-midi commençait à s’estomper. C’était une randonnée belle et facile mais ce qui m’a le plus frappé, c’est que le cliché « La Suisse est un paradis pour les randonneurs » résume le mieux le pays. En une journée, nous avons fait l’expérience des montagnes, des plaines et des lacs, à pied et en train, nous avons mangé la polenta, le rösti et les capuns, nous avons entendu parler trois langues, et nous avons vu la grandeur et la splendeur des Alpes suisses, et tout ça sans aucune chute.